En Reponse à Shlomo Sand

(dossier publie sur le SayaBlog avec l’aimable autorisation ecrite de l’auteur. Lien vers l’article original)

En réponse à Shlomo Sand

Ce document est une réponse au pamphlet écrit par Shlomo Sand et publié dans le Monde Diplomatique en août 2008, disponible à ce lien :

http://www.monde-diplomatique.fr/2008/08/SAND/16205

Sand a également publié un ouvrage plus complet, reprenant sa thèse sur 446 pages.

La thèse de Shlomo Sand est faite d’approximations, de mélanges mêlant faits et extrapolations, et d’un tissu assez dense de mauvaise foi. Lui répondre point par point nécessiterait plusieurs centaines de pages et énormément de temps, aussi nous nous limiterons à casser les points principaux de son argumentation en apportant des références historiques.

  1. Préliminaire :
    1. Qui est Shlomo Sand?

Shlomo Sand est un universitaire israélien, dont le domaine de recherche est les intellectuels français, le cinéma et d’autres thèmes aussi « ardus ». A ce titre, il a soutenu une thèse sur Jean Jaurès et sur Georges Sorel, théoricien du syndicalisme révolutionnaire ; donc rien à voir avec l’histoire du peuple hébreu. Alors, certes, Sand est professeur d’histoire à Tel-Aviv, mais il n’est pas plus qualifié qu’un boulanger à Paris ou la « caissière de Ramot » concernant l’histoire juive : ce n’est pas son domaine

D’autre part, Sand ne s’en cache pas, ses sympathies politiques vont à la formation d’un Etat unique binational entre le Jourdain et la Méditerranée. Sa « déconstruction des mythes fondateurs israéliens » participe de cette stratégie politique.

    1. Petits hors sujets
      1. Le négationnisme

La contestation des crimes contre l’Humanité commis dans le cadre le ‘Hourban contre les Juifs d’Europe durant le Seconde Guerre Mondiale (plus communément désigné sous le nom de Shoah) est l’aspect le plus connu de la négation de l’histoire du peuple juif. Mais il n’est pas le seul. Arafat a exprimé maintes fois sa négation d’une présence juive en Eretz Israel ou de la réalité historique des Temples de Salomon et d’Hérode. Une certaine littérature très en vogue chez nos cousins arabes prétend que jamais Israël n’est sorti d’Egypte et jamais les Cananéens n’ont cessé d’être le seul peuple présent sur Eretz Israel. Voltaire prétendait que la circoncision était un usage égyptien copié par les Juifs.

Tout ce négationnisme résultait et résulte toujours du même mépris et de la même haine irrationnelle, viscérale et intemporelle qui frappe le peuple hébreu depuis Abraham. Encore, tout cela restait circonscrit… Shlomo Sand, suivant la citation prêtée à Goebbels « plus le mensonge est gros, mieux il passe » va encore plus loin : il nie n’existence d’un peuple juif, qui ne serait qu’une création récente à des fins politiques.

      1. Le procédé classique d’inversion

Un des aspects ridicules de l’hostilité anti-juive durant les 3500 dernières années, est la tentative constante de nos adversaires d’inverser le rôle des Juifs et de leurs persécuteurs :

  • l’Eglise se proclame Verus Israel, le « vrai Israël », sous-entendant que les Juifs sont plus Israël
  • à titre de « bonne action », les Inquisiteurs, Croisés et autres partisans de la « religion d’Amour » massacrent les Juifs par centaines de milliers car ces derniers auraient, quelques siècles auparavant, tué un Juif.
  • suite à la Kristallnacht, les Allemands ne dédommagent pas les Juifs pour les dégâts qu’ils ont subis : au contraire, les Juifs doivent payer une amende collective suite au pogrom

« Rien de nouveau sous le soleil » dit Qohelet. On ne sera donc pas surpris de voir que le thème de l’inversion joue encore contre le peuple hébreu, devenu cette fois ci… une fraction du peuple arabe (!)

    1. Quelle est la thèse de Shlomo Sand ?

La théorie de Sand repose sur quelques points :

  • Des Juifs ont progressivement et volontairement émigré hors d’Eretz Israel, essaimant dans tout le bassin méditerranéen et au-delà.
  • Les Juifs ont de tout temps pratiqué un prosélytisme actif, jusqu’à ce que le christianisme et l’islam s’imposent autour du bassin méditerranéen.
  • L’Exil du peuple juif après la destruction du IIe Temple n’a jamais eu lieu. Le peuple est resté sur place et a été islamisé au VIIe siècle.

Conséquence : les vrais « Juifs génétiques » seraient les populations arabes résidant actuellement (provisoirement) en Eretz Israel occidentale, quant aux « Juifs officiels » ce sont des descendants de populations, principalement khazars et berbères, autrefois judaïsées.

  1. Réponse rapide : Juifs et Gentils n’ont cessé de considérer les Juifs comme un peuple

D’après Sand, depuis la perte de l’indépendance de la Judée, les Juifs ne seraient plus qu’une communauté religieuse et non nationale.

Cela est profondément aberrant pour deux raisons.

Premièrement, en priant pour le retour à Sion, la restauration du Temple, des Juges, des Rois, Lévites et Kohanim, les Juifs marquent bien l’intention de revenir à un système politique, administratif et éducatif. Il suffit d’ouvrir un siddour ou un ma’hzor pour s’en rendre compte. Manifestement Shlomo Sand n’a jamais eu le temps d’entrer dans une librairie, ou bien il passait Kippour à autre chose que la tephilah. De plus, toute une frange de la littérature rabbinique traite des lois régissant le roi, le droit de la guerre etc. Rambam (1135-1204) y consacre une part importante du Yad ha’Hazaqa.

D’autre part, ce sont les non-Juifs eux-mêmes qui parlent des Juifs comme d’une nation. Quelques citations parmi des milliers :

Le peuple juif n’est devenu une « religion » que lorsque la Révolution Française et l’Empire ont fait des Juifs des citoyens français de confession mosaïque ; Sand, lui soutient le contraire : la communauté religieuse serait devenu un peuple au courant du XIXe siècle, sous l’influence allemande.

  1. Les Khazars

Sand, reprenant de vieilles thèses d’Arthur Koestler, prétend que les Juifs ashkénazes descendent des Khazars, peuple ayant dominé le Caucase pendant une partie du Moyen-Age. Si la famille royale et les élites du royaume khazar se sont converties au judaïsme, il n’a jamais été établi que le peuple dans son ensemble avait suivi la même voie.

La revue Kountrass, dans son numéro 15, a publié il y a quelques années une réfutation point par point des arguments de Koestler : erreurs sur la toponymie de lieux hongrois et polonais, le nombre des Juifs allemands, la structure des shtetls, etc.

Citons ici un argument très simple : les Ashkénazes parlent yiddish, langue composée à 80% de haut-allemand, de 10 à 15% d’hébreu-araméen, et de 5% de slave, mais aussi des apports latin, français, etc. Or, les Khazars étaient un peuple turcophone.

Supposons que les Khazars soient les ancêtres des ashkénazes, prenons des chiffres arbitraires et fantaisistes : 100.000 Juifs « génétiques » germanophones se seraient mêlés à 1.000.000 de Khazars turcophones convertis au judaïsme : leurs descendants devraient parler une langue fortement imprégnée de turc ; or, il n’en est rien.

Bernard Lewis, historien et spécialiste du Moyen-Orient contrairement à Sand, coupe court à la polémique :

« Cette théorie … ne repose sur aucune preuve qu’elle soit. Elle a été abandonnée depuis longtemps par tous les chercheurs sérieux dans ce domaine, y compris ceux des pays arabes, ou la théorie khazar est peu utilisée en dehors de polémiques politiques occasionnelles. »

(Bernard Lewis, Semites and Anti-Semites, W.W. Norton and Company, page 48)

Du reste, divers auteurs ont pointé du doigt les erreurs, manquements, imprécisions et raccourcis de Koestler :

  1. A propos de la génétique:

Sand méprise les recherches basées sur la biogénétique, qui est pourtant une science dure, à la différence de sa spécialité à lui: le cinéma.

Quoiqu’il en soit, la génétique apporte la preuve d’un « matériel génétique commun à tous les Juifs ».

Un article à ce propos (complet mais assez ardu) est paru dans la très sérieuse revue américaine de référence Nature (peu suspecte d’être entre les mains de la mafia judéo-sioniste orthodoxe), en date du 15 mars 2000, elle est consultable au lien suivant :

Un résumé en français de cet article est disponible sur le site lamed.fr :

Citons également :

  1. La nature « ethnique » des populations arabes d’Eretz Israel occidentale

D’après Shlomo Sand, les populations arabes résident actuellement en Eretz Israel seraient des descendants d’Hébreux n’ayant jamais quitté la terre sainte, contrairement aux « immigrés juifs européens », forcément colonisateurs.

Il faut savoir que le peuplement arabe d’Eretz Israel est somme toute assez récent : attirés par l’essor économique, social et médical apporté par les pionniers sionistes, des centaines de milliers d’Arabes ont progressivement quitté les régions dont ils étaient autochtones, et ont rejoint la minorité d’Arabes présents depuis l’invasion du VIIe siècle et la fin des Croisades au sortir du Moyen-Age. Les nombreuses descriptions d’Eretz Israel au XIXe siècle confirment que, jusque là, la terre est désertique, et donc peu peuplée.

Le mythe d’un peuplement arabe, continu, persistant et majoritaire est démonté par les universitaires Michel Herszlikowicz, Claude Franck, Michaël Bar-Zvi dans leur thèse Le Sionisme , abondamment fournie en références, pages 15 à 20, et surtout pages 35 à 39.

lien: http://books.google.fr/books?id=jt0vuttBce8C&printsec=frontcover#PPA15,M1

Résumé en quelques chiffres :

  • la population totale d’Eretz Israel était évaluée entre 50.000 et 100.000 habitants au milieu du XIXe siècle
  • de 1885 à 1935, 200.000 Arabes des régions voisines entrèrent en Eretz Israel occidentale
  • de 1936 à 1945, 100.000 autres s’y ajoutèrent.

Le quid confirme ce dernier chiffre : (http://www.quid.fr/2007/Inde_A_Italie/Israel/2):

  • Pour la seule année 1934, 30.000 Arabes de Syrie ont émigré en Eretz Israel occidentale, à cause de la sécheresse
  • Entre 1936 et 1945, 100.000 Arabes des pays voisins ont immigré en Eretz Israel occidentale.

Or, en 1947, il est communément admis que la population arabe en Eretz Israel occidentale comptait 1.200.000 habitants, avec une pyramide des âges à profil triangulaire soulignant la forte proportion d’enfants et de jeunes. Par conséquent, au vu des chiffres cités plus haut, il s’avère que l’implantation de la majorité des populations arabes à l’Ouest du Jourdain est récente, pour ainsi dire contemporaine de l’implantation sioniste : Arafat lui-même est né au Caire, en Egypte, en 1929. Les Arabes ne peuvent donc prétendre être des descendants des anciens Hébreux, comme le soutient Shlomo Sand.

  1. L’Exil

Avant d’analyser plus précisément la question de l’Exil après la Grande Révolte, l’on rappellera ce que tout étudiant de yeshiva de plus de 14 ans connaît : à partir de la Captivité de Babylone, une grosse partie du peuple juif, voire la majorité, réside en dehors d’Eretz Israel. En prenant pour base l’hypothèse haute que la population juive en +68 s’élevait à 7 ou 8 millions d’âmes, seuls 2.5 millions résidaient en  Judée, Galilée et Pérée. Philon rapporte que la population juive d’Alexandrie d’Egypte était d’un million d’individus, un autre million résidait en Babylonie. Sand enfonce donc des portes ouvertes pour prouver que la majorité de la population juive mondiale n’a pas été expulsée de Judée par les Romains.

    1. Sur le fond

Shlomo Sand écrit : « les Romains n’ont jamais exilé de peuple sur tout le flanc oriental de la Méditerranée. A l’exception des prisonniers réduits en esclavage, les habitants de Judée continuèrent de vivre sur leurs terres, même après la destruction du second temple. »

Sand semble avoir des arguments pour soutenir sa position. En effet, concrètement, Titus et Vespassien n’ont pas procédé à une déportation massive et systématique de toute la population juive, comme ce fut le cas pour les Dix Tribus sous Sennachérib ou le royaume du Sud sous Nabuchodonosor. Le simple fait que le Talmud de Jérusalem existât est un signe de la vitalité juive en Eretz Israel même après la destruction du Temple. Dans ce cas, comment expliquer le déplacement du centre de gravité de la population juive ?

Quelques chiffres : la Grande Révolte, qui se conclut par la destruction du Temple, aurait fait 1.100.000 morts, 97.000 prisonniers, pour une population en juive en Judée de 2.500.000 âmes avant la guerre (cf. Flavius Josèphe, la Guerre des Juifs, livre VI, chapitre 9, alinéa 3). Néanmoins, même après la chute d’Hérodium et de Massada, la Judée, bien que saignée à blanc et partagée entre les soldats de Vespassien, continue à être majoritairement peuplée de Juifs.

Le tournant date de la révolte de Bar Kokhba. Par la prise de Beitar, Hadrien massacre 500.000 Juifs dans la seule journée de Tisha BeAv en l’an 135. Le pays est littéralement ravagé :

« ὀλίγοι γοῦν κομιδῇ περιεγένοντο.  Καὶ φρούρια μὲν αὐτῶν πεντήκοντα τά γε ἀξιολογώτατα, κῶμαι δὲ ἐνακόσιαι καὶ ὀγδοήκοντα καὶ πέντε ὀνομαστόταται κατεσκάφησαν, ἄνδρες δὲ ὀκτὼ καὶ πεντήκοντα μυριάδες ἐσφάγησαν ἔν τε ταῖς καταδρομαῖς καὶ ταῖς μάχαις (τῶν τε γὰρ λιμῷ καὶ νόσῳ καὶ πυρὶ φθαρέντων τὸ πλῆθος ἀνεξερεύνητον ἦν), ὥστε πᾶσαν ὀλίγου δεῖν τὴν Ἰουδαίαν ἐρημωθῆναι, καθάπερ που καὶ πρὸ τοῦ πολέμου αὐτοῖς προεδείχθη »

« Il ruina cinquante de leurs forteresses, et 985 de leurs bourgs. Il y eut 580.000 hommes tués dans les escarmouches et dans les combats, et une si prodigieuse multitude de personnes périrent par la faim, par la maladie , ou par le feu qu’il fut impossible de la compter, et que la Judée eu demeura tout à fait déserte. »

(Δίων Κάσσιος / Dion Cassius, Histoire Romaine, Livre LXIX, ouvrage écrit entre 207 et 229, suivant la traduction française de 1686, disponible à ce lien: http://books.google.fr/books?id=LEMMAAAAYAAJ&dq=%22Histoire%20romaine%22%20dio%20cassius&as_brr=1&pg=RA4-PA517#v=onepage&q=&f=false

Le texte original en grec est consultable ici :

http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Dion/livre69.htm , à l’alinéa §14)

Des milliers de Juifs sont déportés, par bateaux, vers l’Egypte voisine :

« Les captifs étaient vendus en esclavage en nombre trop grand pour être comptés. D’abord ils furent amenés au grand marché annuel du Térébinthe à Hébron, ou selon les mots de Hyranumous, à la tente d’Abraham près d’Hébron. Chaque esclave était vendu au prix d’un cheval. Ceux parmi les captifs qui n’étaient pas vendus là furent emmenés au marché de Gaza qui, à cause de la grande multitude d’esclaves qui y étaient vendus, fut appelé le marché d’Hadrien. Et ceux qui n’étaient pas [encore] vendus furent embarqués dans des bateaux et pris en Egypte. Beaucoup moururent durant le voyage, soit de faim soit de naufrage, tandis qu’aussi nombreux furent ceux tués par des maîtres cruels. ».

(Chronicon Alexandrinum, 224e Olympiade, repris par Friedrich Münter dans Der judische Krieg: unter den Kaiser Trajan und Hadrian, disponible ici:

http://books.google.fr/books?id=cGENAAAAYAAJ&dq=friedrich%20munter&as_brr=1&client=firefox-a&pg=PA113#v=onepage&q=&f=false )

A partir de là, comme le rapporte le Talmud, la pression romaine, faite de persécutions religieuses, d’affaiblissement économique, de colonisation gréco-latine, et de poursuite des rabbanim, provoque le départ lent et continu de la population vers des cieux plus cléments ; notamment à Babylone, où, à l’exception du règne de Trajan, les légions romaines ne peuvent occuper le pays.

D’après Wikipedia en anglais, lors de la révolte juive contre Héraclius au VIIe siècle, il ne reste que 150.000 Juifs en Eretz Israel, répartis dans 43 communautés. Suite à la l’échec de la révolte, des dizaines de milliers de Juifs sont massacrés et d’autres expulsés vers l’Egypte.

Deux coups de butoir supplémentaire vont se porter sur la population juive en Eretz Israel :

  • l’invasion islamique qui impose effectivement des conversion forcées, sans toutefois que leur nombre soit connu : néanmoins, jusqu’au XIe siècle les Juifs de Babylone continuent d’affluer vers la Judée lors des trois fêtes de Pèlerinage
  • les Croisades. Après un tremblement de terre dévastateur, les chevaliers francs rendent Eretz Israel quasi Judenrein, massacrant en masse les Infidèles, avec une telle hargne qu’au XIIIe siècle Ramban ne rencontre que deux Juifs à Jérusalem

L’Exil n’est donc pas un concept vague appliqué à une minorité de paysans judéens. Les légions romaines ont laissé derrière elles 1.000.000 de morts en l’an 68, plus de 500.000 en 135, et ont déporté des centaines de milliers de Juifs, dont « peu en ont échappé » : comment donc croire Shomo Sand lorsqu’il considère que les captifs et les morts étaient l’exception ? Sand récidivera dans une tribune du Monde datée du 04/04/2009 : « Or, très étrangement, on ne trouvera pas le moindre ouvrage de recherche consacré à cet acte d’exil ! Les Romains emmenaient, certes, des rebelles en captivité mais ils n’ont pas exilé de peuple du Moyen-Orient ». Assurément, un exil physique des Judéens leur a été imposé, cet exil est documenté dans les sources gréco-latines classiques ; si Shlomo Sand n’a pas eu accès à ces sources, cela signifie :

  • Il n’a pu se déplacer dans les grandes bibliothèques occidentales pour y consulter des ouvrages rares que la bibliothèque de cinéma de Tel-Aviv ne possède pas.
  • Il ne parle ni la koinè ni le latin ; il n’y a rien de honteux à cela, mais c’est assez handicapant lorsqu’on prétend étudier et rédiger un pamphlet sur l’histoire antique du peuple juif, ou d’un autre peuple d’ailleurs.
  • Il ne sait pas se servir de Google ; çà par contre c’est un assez gros problème au XXIe siècle.

    1. Sur la forme

Visiblement, Shlomo Sand  n’est pas un Talmid Hakham : dans le judaïsme, la notion de galouth juif recouvre plusieurs réalités : l’exil physique évidemment, mais aussi  l’asservissement aux Nations dont les continuelles persécutions n’ont jamais vraiment cessé (aujourd’hui encore un obscur conseiller diplomatique d’un quelconque Etat européen s’arroge le droit de décider où un Juif a le droit de construire sa maison sur la terre d’Israël, y compris à Jérusalem !) et surtout l’exil de la Shékhina.

En restreignant sa définition de l’exil à la présence ou non de Juifs en Judée, Sand ignore le rôle fondamental que joue le Temple pour les Juifs ; sa destruction ôte tout enjeu au combat lors de la Grande Révolte, sa reconstruction est le but de Bar Kokhba.

Aujourd’hui encore le peuple juif pleure la destruction du Temple et sa gloire passée. Bien que l’Etat d’Israël soit physiquement souverain sur une partie de la Terre d’Israël, les malheurs de l’Exil n’ont pas cessé. L’un de ces malheurs est la malédiction d’Isaïe : « tes destructeurs sortiront de toi ». Shlomo Sand prouve lui-même que cette malédiction de l’Exil est toujours en vigueur.

  1. Le « prosélytisme juif »

    1. Les « sources » de Sand

Shlomo Sand met à contribution Horace, Sénèque, Juvénal et Tacite pour prouver le « prosélytisme juif ». Prenons quelques exemples :

      1. Horace, Satires, Livre I Satire IV :

« Multa Poetarum veniet manus auxilio quae

Sit mihi (nam multo plures sumus; ) ac veluti te

Judœi cogemus in hanc concedere turbam

En français:

« Vont venir contre vous me prêtant leur appui

Comme ces juifs ardens à propager leurs rites

Vous ranger malgré vous parmi leurs prosélytes »

(lien : http://books.google.fr/books?id=nfs8xnTDusAC&pg=PA51&img=1&zoom=3&hl=en&sig=ACfU3U2CP2JCMkUq_Bf_mq0SO5vEd34eRw&ci=33%2C892%2C823%2C150&edge=0)

C’est un peu moyen comme preuve…

      1. Juvénal, Satires, XIV, 96-106

QUIDAM sortiti metuentem sabbata patrem ,

Nil praeter nubes et cœli nuinen adorant ;

Nec distare putant humana carne suillam ,

Qua pater abstinuit mox et praeputia ponunt .

Romanas autem soliti contemnere leges ,

Judaicum ediscunt et servant ac metuunt jus ,

Tradidit arcano quodcumque vohnmne Moses :

Non monstrare vias eadem nisi sacra colenti ;

Quaesitum ad fontem solos deducere verpos .

Sed pater in caussa cui septima quaeque fuit lux

Ignava et partem vitae non attigit ullam.

En français :

« QUELQUES UNS nés d’un père superstitieux observateur du sabbat n’adorent que les nuages et le ciel, n’ont pas moins d’horreur pour la chair des pourceaux dont il s abstenoit, que pour la chair humaine, et ne tardent point à se faire circoncire. Elevés dans le mépris des lois romaines, ils n étudient ne pratiquent que le judaïsme. Tout ce que Moyse leur transmit dans sou livre mystérieux est un objet de crainte et de respect. Un voyageur s’il nest pas de leur secte les prieroit vainement de le remettre en son chemin ou de lui montrer une fontaine. Cela vient n’en doutez point de ce que le père de ces Iduméens coula dans l’inaction le septième jour de la semaine sans daigner prendre part aux devoirs de la vie »

Idem, c’est très peu probant

J’arrête ici pour les citations latines, inutile de continuer.

    1. Sur le fond

Il est bien connu que le judaïsme orthodoxe « moderne » met des bâtons dans les roues des candidats à la conversion, appliquant simplement les lois issues du Talmud, compilé pendant des centaines d’années jusqu’à l’Antiquité tardive. Le prétendu « prosélytisme juif durant l’Antiquité» est un lieu commun qui repose sur peu de sources, mais sur beaucoup d’extrapolations. Comment expliquer une telle contradiction ?

Un ouvrage consacré à cette question a été publié en 1992 (bien avant que Shlomo Sand ne soit en quête de célébrité) :

“Prosélytisme juif”? Histoire d’une erreur. , par Edouard Will et Claude Orrieux, éditions Les Belles Lettres, ISBN-10 2-251-38016-7, ISBN-13 978-2-251-38016-2

Voici un extrait, issu du quatrième de couverture :

« Le mythe du « prosélytisme juif », d’où serait issu le prosélytisme chrétien, s’est largement répandu de la fin de l’époque hellénistique jusqu’à Charlemagne, au point que l’on a pu croire qu’il y avait eu concurrence entre Juifs et Chrétiens pour la conversion des païens.

Erreur : l’étude exhaustive des sources bibliques menée ici démontre que le mot de « prosélytisme » n’existe pas dans les textes hébraïques anciens, pas plus que le concept qu’il recouvrira de nos jours. En fait, s’il existe des prosélytes qui rejoignent la religion juive, on ne trouve en aucun cas une volonté de convertir de la part des Juifs eux-mêmes.

C’est saint Paul qui, après sa conversion au christianisme, innovera totalement en pratiquant et organisant le « prosélytisme », même si le mot ne doit apparaître qu’au XVIIe siècle, à la fois en France et en Angleterre. Le mythe reprendra vigueur au XVIIIe siècle du fait de Montesquieu, qui l’utilise dans ses polémiques antichrétiennes. Au XIXe siècle, l’erreur se répand chez les protestants libéraux allemands, puis gagne la France, notamment grâce à Ernest Renan.

Ce livre, dont les arguments se fondent sur les sources tant historiques que littéraires, de l’Antiquité à nos jours, règle une fois pour toutes la question du « prosélytisme juif », erreur de l’histoire, mal intentionnellement utilisée à des fins de propagande. »

Le mythe du prosélytisme juif a donc des causes et des objectifs autres que la recherche scientifique de la vérité ? Néanmoins, de nombreux auteurs grecs et romains témoignent de l’influence juive sur les païens. Ce ne sont pas tous des menteurs. Par contre, il y a probablement une subtilité que les auteurs non-juifs n’ont pas saisi : il y a deux type de « conversion » dans le judaïsme

  • Le converti « complet », ou guer tzedeq, embrasse la foi juive, pratique l’intégralité de la Loi et est juif à tous les égards, à quelques exceptions près (impossibilité de devenir roi d’Israël, lois matrimoniales spécifiques par rapports aux Kohanim descendants d’Aaron)
  • Le ben Noah, ou guer toshav, prend sur lui de pratiquer les 7 lois noahides, dont le renoncement à l’idolâtrie. Il ne passe pas au miqveh et n’est pas circoncis. Vivant dans l’orbite juive, il est souvent amené à « judaïser », c’est-à-dire pratiquer de son propre chef certaines lois juives : ne pas manger de porc, ne pas travailler le samedi sans réellement observer le sabbat, etc. Dans le monde antique, vide de sens et de morale, le judaïsme, sa loi, son rituel, son espoir messianique d’un avenir meilleur et ses valeurs morales ont joué le rôle de point de ralliement pour de Gentils sans repères. Comme le reproche Sénèque : « cum interim usque eo sceleratissimae gentis consuetudo valuit, ut per omnes iam terras recepta sit; victi victoribus leges dederunt » (De Civit. Dei, VI, 11), c’est-à-dire : « Et cependant cette coutume de la nation la plus perverse à si puissamment prévalu que déjà elle est reçue par toute la terre : les vaincus aux vainqueurs ont fait la loi ». Du reste, il est souvent admis que le judaïsme n’a fait que préparer le terrain : les guer toshav seront parmi les premiers à embrasser la nouvelle foi chrétienne, cette dernière ne nécessitant plus le passage, ô combien redoutable, de la circoncision.
    1. Sur la forme

Quand bien même Shlomo Sand aurait raison, c’est-à-dire que le judaïsme moderne serait issu de conversions aux temps antiques, Sand ne parviendrait pas à prouver ce qu’il avance, à savoir que « le peuple juif fut inventé au XIXe siècle » : en effet, tout au plus pourrait-il affirmer que « la race juive fut inventée au XIXe siècle »… ce qui n’est pas la même chose ! Le concept de « race » est totalement dépassé et réprouvé par la science moderne. De plus, ni le Tanakh ni le Talmud n’ont jamais défini la judéité comme l’appartenance à une communauté biologique, mais bien l’appartenance à une « multitude d’individus formant une communauté sociale ou culturelle » (une des définitions modernes de terme « peuple »). Pour les Juifs, il s’agit d’une communauté de religion bien sûr, mais aussi de destin, de souffrance, de langue, de culture, et de lien avec la Terre d’Israël, descendant majoritairement mais non exclusivement des Patriarches.

Du reste, le déni de « pureté de la race » reproché au Juifs n’est même pas évoqué pour les Arabes d’Eretz Israel, qui seraient donc génétiquement et « racialement purs » à 100%… à croire qu’aucun Arabe d’Arabie, d’Egypte, d’Irak ou d’ailleurs n’aurait mélangé son sang avec eux !

  1. Conclusion

Ainsi donc, il apparaît que la thèse de Shlomo Sand, pour séduisante qu’elle soit, n’est pas un mensonge totale, mais une série d’interprétations biaisées d’approximations se basant sur des faits réels extrapolées, le tout dans un but éminemment idéologique et politique. Sand est un cinéaste tournant une fiction sur des bases réelles.

Les Juifs ont de tout temps eu le sentiment d’une communauté de Nation et de destin. Le peuple juif n’a pas été inventé. Par contre Shlomo Sand, lui, a réussi à « inventer l’invention » du peuple juif.

Le problème de Sand est qu’il cherche à définir le Juif en prenant pour référence des modèles qui ne peuvent convenir : le peuple ou la nation au sens européen, la religion, la tribu, la race, l’ethnos, la langue… Am Israel n’est aucun de tout ceux-là, tout en étant un petit peu de chaque. Il est impossible de définir le Juif autrement que comme « un truc bizarre », indéfinissable, à l’image de son Créateur, et qui survivra à tous ses détracteurs.

16 responses to “En Reponse à Shlomo Sand

  1. Bonjour,

    Votre exposé a l’air convaincant. Toutefois, vous employez de nombreux mots en langues étrangères, et en l’occurrence on peut le dire: pour beaucoup de monde c’est de l’hébreu.

    Amitiés,

    Guillaume

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    • Je suis desole, j’aviais copie le texte tel quel. Petit glossaire

      Kohanim ou Cohanim = les pretres, descendants d’Aharon (frere de Moise)
      siddour = livre de prieres
      ma’hzor = livre de prieres pour les fetes, notamment a Kippour
      Kippour = jour du Grand Pardon
      tephilah= la priere
      Rambam = Maimonide, erduti juif, philosophe, medecin, etc. du Moyen-Age
      Yad ha’Hazaqa = ouvrage principal de Rambam, traite de la loi juive dans toutes les situations, y compris celles n’ayant plus cours de nos jours
      Eretz Israel = la terre d’Israel. On distingue Eretz Israel orientale et occidentale (Est et Ouest du Jourdain)
      Tisha BeAv = jour du calendrier ou de nombreux malheurs ont frappe le peuple juif (destruction des Temples, pris de Beitar, Expulsion d’Espagne, Guerre Mondiale, etc.)
      koine (mot grec) = grec parle a l’epoque hellenistique et au-dela en Mediterranee orientale
      Judenrein (mot allemand) = territoire sans Juifs, apres “nettoyage” par les nazis
      Tanakh = Bible juive, Ancien Testament
      miqveh = bain rituel
      Am Israel = le peuple juif

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  2. Salut,

    Je vais chipoter mais le formatage et la numérotation des titres c’est un peu la foirade. Ceci dit je vous félicite pour ce texte.

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  3. Pourriez-vous me donner les coordonnées de l’auteur s’il vous plait, puisque que vous semblez les avoir? Merci d’avance.

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  4. Monsieur John W. Dwight-Davis
    Je vous remercie de ces “éclaircissements”. Vous serez heureux car je réponds, point par point. Il est utile de vous préciser que j’ai une formation d’historien, et puisque cela vous titille, non, je ne suis pas un spécialiste de la question, mais comme Térence, “Homo sum ; humani nihil a me alienum puto”.

    Le travail de Shlomo Sand est assurément critiquable, comme toute recherche universitaire. Cependant, une partie des considérations publiées ici le sont autant, si ce n’est plus.

    – Le mépris affiché de la formation universitaire de l’auteur : rappeler que l’homme n’a pas travaillé ici dans son domaine de prédilection n’enlève rien au sérieux et à la qualité du travail de recherche, et nous ne sommes pas face à un “historien local”, dont la formation “maison” serait trop légère. Cette information est inutile pour remettre en cause le fond, bien qu’il soit opportun de rappeler que l’auteur n’est pas dans son domaine de prédilection.

    – Ses “sympathies politiques” peuvent, elles, plus certainement être prises en considération et effectivement biaiser ou orienter ses recherches. Cependant, ici j’ai du mal à voir en quoi ces travaux sont liés avec le but affiché de “formation d’un Etat unique binational” en Palestine : quelle que soit l’origine de l’État israélien actuel il existe avec un sentiment national, il ne se limite pas à une seule population juive, il existe et les évolutions à venir se feront en tenant compte de ce qui est cette réalité.

    – Je conteste l’usage du terme de “négationnisme” utilisé ici. Assimilé au travail de Shlomo Sand, il est dévoyé de son rôle premier. On peut contester sa thèse, mais son travail est intellectuellement intéressant car il prend le contre-pied de ce qui a toujours été posé comme des vérités sur lesquelles il était hors de question de revenir. Il remet en cause certains postulats, ce qui l’un des fondements de la recherche scientifique. Le parallèle avec Goebbels ne valorise pas la critique et reste hors de propos, comme le rejet de l’auteur dans le camp de “l’Église”, par la suite des “Inquisiteurs, Croisés et autres partisans de la « religion d’Amour »”, puis de l’État national-socialiste allemand “suite à la Kristallnacht”. Il s’agit d’un simple procédé de dévalorisation par assimilation qui n’apporte pas d’information, il est contre-productif.

    – Par la suite sont contestés les trois points de la thèse, à l’aide de quelques sources. En dehors d’une mention d’un auteur du Moyen Âge – isolée et trop réduite – les premiers textes sont tous tardifs (fin de l’époque moderne, début de l’époque contemporaine). Ils sont sujets à plusieurs lectures, certaines étant anhistoriques car dévoyées de leur sens premier. Pour exemple, le terme “nation” sous la plume de l’abbé Maury sert son refus d’offrir la citoyenneté française à d’anciens sujets du roi devenus de fait citoyens de la République. L’usage du terme relève d’une conception “étroite” et exclusive de la République française en maturation, et n’est reconnue une “nation juive” que par un phénomène de rejet et d’exclusion de la nation française, ce qui ne fait pas une nation. Quoi qu’il en soit le corpus est étroit et mal employé.

    – Je ne connaissais pas l’histoire des Khazars du Caucase, mais c’est l’un des rares dossiers étayé – les sources sont généralement citées. La linguistique paraît être un élément plus certain pour étayer l’idée qu’une partie seule de ces peuples ait pu se convertir, où sur une durée réduite.

    – La génétique assure d’une homogénéité des groupes d’hommes sur le temps long à l’échelle historique. Il s’agit d’une science “dure”, et l’usage du terme générique “tous” (“matériel génétique commun à TOUS les Juifs”) ne fonctionne pas, le recul pris par les scientifiques est ici dévoyé car transformé en affirmation (« En dépit de leur long exil dans de nombreux pays, les communautés juives sont très PROCHES au point de vue génétique. Les résultats de ces travaux posent l’HYPOTHESE d’un gène paternel unique des différentes communauté en Europe, Afrique du Nord et Moyen-Orient et SUGGERENT la possibilité que les communautés juives descendent d’une ancienne population du Moyen-Orient. Ces travaux ont aussi montré, vu la pérennité du profil génétique que DE NOMBREUSES communautés sont restées isolées et qu’il n’y a pas eu de mélange avec le patrimoine génétique des non-juifs » pour ces dernières – http://www.lamed.fr/index.php?id=1&art=372)… Quoi qu’il en soit, la génétique ne fait pas un peuple, et encore moins une nation. Elle atteste ce que l’histoire nous apprend : le fonctionnement souvent en vase “clôt” mais pas imperméables, de communauté israélites au sein de populations parfois hostiles, souvent réfractaires, plus rarement amicales. Cela ne contredit en rien l’idée de conversions, cela étaie plutôt l’idée de conversions anciennes, et d’une manière globale, réduites, à la hauteur de communautés dispersées et fonctionnant avant tout en réseau. Cela ne permet pas de l’ériger en preuve qu’un « matériel génétique commun à “tous” les Juifs » en ferait une nation homogène, ce qui serait par ailleurs dangereux car exclusif.

    – Les propos sont réducteurs lorsque sont traitées les populations arabes, et les termes renvoient à ceux d’une construction coloniale. L’arrivée de populations d’Europe en Palestine, en nombre croissant depuis la seconde moitié du XIXe siècle et associée à une construction nationale issue d’une culture européenne, place ces personnes sur un plan d’égalité de déracinement avec celles implantées par la France en Algérie aux mêmes périodes. De plus, n’est imaginée la venue et le développement de populations arabes que par un attrait, “l’essor économique, social et médical apportés par les pionniers sionistes”, ce qui, sans être faux, reste très réducteur. Il s’agit d’une assertion qui fait presque tabula rasa du passé comme du contrôle ottoman puis britannique de la région, elle ne vise qu’à justifier la présence des nouveaux venus par la mise en valeur du territoire (ce procédé d’appropriation et de justification de cette appropriation se retrouve pour exemple chez les “sans terres” au Brésil). Le bouleversement lié à l’arrivé de populations extérieures est réel, que ce soit au niveau de l’activité économique globale, où de la réussite pionnière avec un travail de la terre proche de la Huerta espagnole et très différent de ce qui se pratiquait auparavant, mais il ne peut pas nier la réalité d’une histoire arabe (chrétienne, musulmane… et juive) plus que millénariste sur la terre de Palestine, qui ne s’oppose pas à une tradition juive sur cette même terre.

    – Enfin, en cherchant à démonter la lecture mythique de “l’Exode” que critique Shlomo Sand, les arguments démontrent ici qu’il n’y a pas eut de populations chassées en masse sur un faible temps historique (tel le génocide arménien, par exemple) à l’époque romaine, mais une série d’événements s’échelonnant depuis le début de l’ère chrétienne jusqu’à la période islamique entrainant plusieurs vagues migratoires (contraintes ou non).

    – Sur le prosélytisme, sont contestés Horace (65 à 8 avant notre ère) et Juvénal (tournant du 1er et du 2e siècle), qui donnent deux exemples de prosélytisme. Je n’arrive pas à comprendre en quoi ces écrivains dont le discours est reconnu valable pour de nombreux traits de la vie de l’antiquité, voir d’événements historiques, verraient leurs propos hors de sens ici : ils donnent deux exemples, prenons acte, ce ne sont que deux exemples, ils ne permettent pas de chiffrer des conversions, ils attestent qu’un certain prosélytisme a pu exister. Le 4e de couverture exposé (« Prosélytisme juif »? Histoire d’une erreur. , par Edouard Will et Claude Orrieux, éditions Les Belles Lettres) invite à la lecture de l’ouvrage, mais ne permet pas de conclusions hâtives. Ce dernier démontre assurément l’absence de politique prosélyte officielle, globale et concertée – en comparaison avec un modèle chrétien de diffusion – mais cela ne paraît pas démontrer l’absence de conversion et d’attraction de la religion juive.

    – Dernier élément, et non des moindres : la notion de “peuple” ne peut, de nos jours, être mise en avant qu’avec l’idée de nation, création de la fin du XVIIIe siècle en son sens contemporain. C’est le nationalisme européen – intégrateur, si l’on prend la politique de Napoléon Ier puis de Napoléon III pour les juifs de France et du littoral méditerranéen de l’Algérie – mais aussi exclusif, qui entraîne le développement d’une conscience “nationale” juive et le sionisme. Il faut le “printemps des peuples” de 1848 pour que l’on passe d’une communauté de foi à une nation, cherchant la mise en œuvre d’un État-Nation. Alors, “Les Juifs ont de tout temps eu le sentiment d’une communauté de Nation et de destin” ? De destin, dans un sens religieux, oui, assurément, puisque c’est un ciment communautaire. De Nation, assurément non. Ici est employé de manière rétroactive un concept inconnu dans son sens actuel avant le début du XIXe siècle, amenant à l’État Nation. Le basculement est visible durant la période révolutionnaire, marquant l’évolution du terme (au Moyen Âge, ce sont les habitants d’un petit territoire, telles les nations Picarde et Anglaise à l’Université de Paris, par exemple – mais ils n’ont conscience de relever d’une nation que parce qu’ils ont quitté ce territoire, et cela ne sous-tend pas de sentiment national – où un groupe exerçant une même activité dans un bourg). Dans le cas français, le terme englobe l’ensemble du territoire “national” depuis le moment ou la monarchie constitutionnelle a déclamé le souverain “roi des français” (1791-92). Le peuple ne fait pas la nation.

    – Enfin, achever l’ensemble en se retranchant derrière un plan religieux (« il est impossible de définir le Juif autrement que comme « un truc bizarre », indéfinissable, à l’image de son Créateur, et qui survivra à tous ses détracteurs ») montre le but premier de cette critique, qui n’est pas d’être objective.

    Alors, estimer que “la thèse de Shlomo Sand (…) n’est pas un mensonge total, mais une série d’interprétations biaisées d’approximations se basant sur des faits réels extrapolés, le tout dans un but éminemment idéologique et politique”, grâce aux argumentés énoncés est réducteur. Et la critique publiée ici possède expressément ces défauts là.
    Critiquez Shlomo Sand – car il invite à la critique -, auteur dont je ne suis ni sympathisant, ni encore moins ami, mais ici cela manque cruellement de profondeur, de recul et d’objectivité.

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